LETTRE D’OMAR PORRAS

LETTRE D’OMAR PORRAS

Cher public,

Vendredi 13 mars 2020 à vingt heures, comme dans certains contes sans fées et bravant les superstitions, nous avons joué l’avant-avant-générale de notre création Le Conte des contes, inspiré du Pentamerone de Giambattista Basile, devant l’équipe d’artisans du TKM et cinq invités autorisés. À vingt-et-une heures quarante, notre processus de création s’est suspendu… Quatre jours avant nos aspirations à partager avec vous notre travail, notre belle et si longtemps attendue soirée de première s’est évanouie dans la fumée des artifices, dans les larmes et les adieux sans embrassades.

A l’aube de sa naissance, Le Conte des contes a été soigneusement confiné dans la prodigieuse couveuse du théâtre : les personnages et leurs costumes, leurs fards, perruques et masques, les accessoires et les décors, les feux d’artifices et les nuages en carton-pâte attendent désormais sereinement sous le regard protecteur du dragon, des princesses et des sorcières.

Mais sachez que ces contes de fées, nous allons vous les raconter dès que l’oracle dictera la date.

Nous ne sommes pas face à une légende, à un délire ou une fiction, nous sommes tous les protagonistes d’un long chapitre d’une nouvelle réalité. Et au théâtre plus que jamais, nous vivons le vertige de ne pouvoir être présents avec nos corps sur la scène, de ne pouvoir exister dans le réel, dans la présence impérative de l’autre, du partenaire, et à travers votre regard, vous, notre public.

Il y a trente-trois jours déjà qu’avec toute l’équipe du TKM et du Teatro Malandro, nous nous sommes éloignés des planches, mais pas de vous, chères spectatrices et chers spectateurs, amis et collègues. Comme vous, nous sommes rentrés à la maison. Certaines dans la chaleur de leur famille, d’autres dans la présence parfois morose, parfois bénéfique, de la solitude. C’est clair, nous sommes tous allés chercher le salut dans nos foyers pour cultiver notre santé et celle de l’autre.

Au théâtre, une seule lumière est demeurée en veilleuse sur notre plateau ; c’est la bienveillante servante qui célèbre la vie. En nous rappelant la profondeur de l’obscurité et ses arcanes, elle nous rend aussi conscients que, dans la pénombre, chaque pas, chaque geste doit être justifié, et que, comme sur notre planète, rien ne peut être profané.

Le théâtre, cette pratique ancestrale, est un art de vie, un parangon et un révélateur des symptômes de nos communautés. Il interroge la continuité de la vie, l’évolution de notre espèce, ses rénovations, ses conquêtes et ses échecs. Dès l’Antiquité, des poètes tels qu’Aristote, Sophocle, Pindare ou Homère, sentaient déjà que notre désespoir et notre soif de conquêtes nous mèneraient à déshonorer le sacré. « Nos combats n’ont jamais blessé aucune divinité », disait le poète latin Properce il y a vingt siècles. Aujourd’hui, nous sommes face à un micro-organisme puissant qui nous fragilise. Comment allons-nous alors gagner maintenant ce combat « sans blesser la peau de la déesse », sans « déchirer la racine du miracle divin du monde », comme nous dit le poète colombien William Ospina ?

Cher public, j’espère que derrière le masque de la prudence, demeure intact chez nous tous le désir d’être à nouveau ensemble tout en cultivant la même curiosité pour l’humain et le même appétit de partir à la découverte de l’acte collectif extraordinaire qu’est le théâtre. J’espère également que, malgré cette épreuve, la curiosité vivifiante et revitalisante de la réflexion s’enflamme encore dans notre esprit à tous, que l’exercice spirituel et physique de l’étude, que la rigoureuse mais bienfaisante pratique de la contemplation et notre ardeur de bâtir un nouveau monde se révèlent plus riches, plus gracieux et plus affectueux, pour que demain nous puissions retourner autrement à notre foyer, à notre temple, à notre terre mère.

Notre défi est un acte de créativité collective !

Nous nous sommes attelés à la tâche et nous restons vigilants et actifs, bien que nous ayons résisté au toboggan vertigineux des informations et des messages qui prolifèrent dans les petites et lumineuses fenêtres des écrans des réseaux sociaux.

Le respect du silence a été notre devise !

Mais comme vous le savez, au théâtre, nous ne pouvons pas jouer dans la fausse illusion du virtuel, le théâtre est chair, sueur, larmes, cris, chaleur humaine, étreintes et sang. Aucun autre auteur de théâtre moderne, sans doute, n’a rêvé la scène avec autant d’ardeur que Federico Garcia Lorca, qui a exalté la puissance organique et vitale de notre art dramatique en disant : « Le théâtre est la poésie qui sort du livre et se fait humaine, et ce faisant, elle parle et crie, pleure et désespère. Le théâtre a besoin que les personnages qui surgissent sur la scène aient un costume de poésie et laissent voir, en même temps, leurs os, leur sang. »

Nous attendons donc impatiemment, cher public, ce moment exaltant où nous pourrons à nouveau nous rassembler en corps et en âme, avec nos costumes de poésie et avec des cris de joie pour célébrer la vie !

Hasta pronto !

Omar Porras

Teatro Malandro

TKM Théâtre Kléber-Méleau
Chemin de l’Usine à Gaz 9
CH – 1020 Renens-Malley 

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