Les Echos

Dans Les Echos Philippe Chevilley livre sa troublante lecture du spectacle L’Eveil du printemps en représentation au Théâtre 71, à Malakoff.

Désirs (dé)bridés, apprentissage du sexe sur le « tas », onanisme, homosexualité, avortement, suicide… « L’Eveil du printemps », pièce sur l’adolescence écrite par Frank Wedekind, créa un tel scandale dans l’Allemagne de 1891 qu’elle ne put être représentée que sept ans plus tard… au siècle nouveau. Cent ans après, l’oeuvre sulfureuse de l’auteur de « Lulu » garde toute sa force corrosive, son caractère de fable initiatique et sa verve poétique. Metteur en scène incandescent, le Colombien Omar Porras en offre une lecture limpide au Théâtre 71 de Malakoff, dans une version ramassée, qui flirte avec l’opéra-ballet.

Dans les premières scènes, on est un peu dérouté par l’esthétique de conte naïf, musical et fantastique – on a peur que l’histoire de cette bande d’ados étouffés par leurs parents et professeurs vire au cartoon. Mais la magie à la Disney explose en vol et retombe vite en pluie noire. Le décor révèle sa troublante ambiguïté : entre forêt enchantée et loft en ruine. Les danses/cavalcades des personnages tournent au sabbat mélancolique. Les gamins enjoués étouffent leurs rires, laissent apparaître leurs failles. Les adultes évoluent comme des pantins monstrueux.

Pudique et âpre Porras montre tout… et ne rate rien : les tourments du jeune puceau Moritz qui le mènent au suicide ; l’homme libre qui pointe chez Melchior ; l’innocence sexuelle et la sensualité de Wendla. La scène d’onanisme puis d’amour de Melchior avec Wendla dans une pénombre tachetée de soleil ; l’avortement de la jeune fille monté comme un film d’horreur ; le baiser de Hans et Otto sous une neige multicolore ; l’apparition du fantôme nu et blême de Moritz sont les morceaux de bravoure d’une mise en scène à la fois pudique et âpre, détournant avec grâce – et humour parfois -les codes expressionnistes.

Mais ce qui frappe le plus, c’est le rythme et l’énergie du spectacle : les jeunes comédiens formés à l’école physique et spirituelle de Porras éclairent l’action de leur force et de leur justesse. Le printemps irradie dans chacun de leur mots et de leurs gestes. Le texte de Wedekind devient une lave, qui submerge le vieux monde des adultes. Les ados d’aujourd’hui, dans la salle, ont compris le message, qui font un boucan de tous les diables aux rappels pour célébrer le « printemps » d’Omar.

PHILIPPE CHEVILLEY

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