L’artiste et l’histoire, Botelho et Porras chorégraphient leur rencontre scénique

L’entame voit Omar Porras aligner un pas de deux avec la servante, cette lampe protectrice qui éclaire l’espace scénique entre deux représentations. En découvrant son nombril d’acteur «cabot» voulant désespérément attirer l’attention sur lui, il l’éteint. Noir plateau et belle mise en abyme de l’ego.

S’ensuivent autoportraits dansés ou chaplinesques duos engagés dos public, dans ce Cabots qui rassemble sur les planches le metteur en scène et comédien Omar Porras et le chorégraphe et danseur Guilherme Botelho. Signée à deux, la proposition est à découvrir jusqu’à samedi au Théâtre Forum Meyrin.
«Le désir était de mêler bilan et questionnement brassant les expériences et lignes de vie artistiques des deux cabots que nous sommes toujours un peu à la scène», soulignait Botelho au lendemain de la première. D’où ce pastiche hommage quasi mutique touchant le théâtre dansé et le burlesque.

Les Cabots rapatrie tout ce que l’on avait oublié du théâtre et que Pina Bausch s’est chargée de nous remémorer. D’abord, chez nos deux clowns marionnettiques, son expressivité outrancière, où le corps débonde des gestes hectiques, somatiques. Voyez Porras et sa panoplie de gimmicks tricotant bras et jambes au fil de contorsions enfiévrées. En perro romantico (chien romantique) des rues, Botelho exécute, lui, un pathétique numéro forain qui rappelle la danse du filet empaumée sous contrainte par le beckettien Lucky (En attendant Godot).
Si le spectacle emprunte aux postures grotesques, c’est pour mieux dire que la mort administrée est la provocation première. Celle du canin Bothelo étouffé par le cabot Porras pour parachever le clou autoproclamé du show: la transmigration de ’âme du supplicié. Celle du journaliste et humoriste colombien Jaime Garzón, exécuté par un groupe paramilitaire. Soulignée chez Botelho par une furieuse mimographie de politicien en campagne, sa voix passe jusqu’à l’absurde le discours autoritaire de l’ex-président Alvaro Uribe.

Autre assassinat politique abordé, celui de Martin Luther King. Longuement, les corps pendent, têtes en bas, bassins soudés aux deux bords opposés d’une table. Ils dessinent ainsi un monolithe mémoriel pour mieux ressusciter, en voix off, la parole du pasteur baptiste. Avant que deux coups de feu ne fassent rouler les corps au sol et Luther King dans le négatif de son rêve. Toutes ces trouvailles réconcilient l’inventif spectacle autofictionnel avec la grammaire chorégraphico-théâtrale la plus originelle, et ses illusions les plus archaïques. L’oralité est ici un corps habilement inscrit à même le texte, et non pas représenté par l’écriture.

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