Entretien avec Keita Mishima, le Don Juan japonais

Keita Mishima est acteur au Shizuoka Performing Arts Center (SPAC) . Il intérprète le rôle de El Don Juan dans la reprise du spectacle en japonais, mis en scène par Omar Porras. Il répond à nos questions et nous livre son expérience de travail sous la direction d’Omar Porras.

Dans une société japonaise où en public la retenue est de rigueur, où l’on fait preuve de discrétion dans l’expression des sentiments et des émotions, comment un personnage tel que Don Juan, libertin et séducteur infidèle, est-il perçu?

K.M. : S’il est vrai que l’on vit dans une société qui n’a pas l’habitude de laisser transparaître ses sentiments, le public japonais connaît aujourd’hui le langage moderne occidental notamment grâce au cinéma. Ainsi je crois que l’oeuvre est bien perçue par notre public. Et ce dont je suis convaincu est que si le jeu des comédiens est juste et précis le message et l’émotion passent. De plus, le fait que le public sache qu’il s’agit du travail d’un metteur en scène étranger joue également un rôle. Le public est ainsi davantage ouvert et se laisse plus aisément surprendre.

En quoi l’interprétation du rôle de Don Juan au Japon diffère-t’elle d’une interprétation de ce même rôle en Europe? Comment le jeu de séduction qui découle de ce rôle est il exprimé par un comédien issu de la culture et de la tradition japonaises?

K.M. : Pour moi, en tant que japonais, il m’est très difficile d’interpréter ce personnage, car la tradition théâtrale que nous avons est très éloignée de celle de l’Occident. Par exemple dans le Kabuki, au niveau du langage gestuel, si un personnage prend la main de sa compagne, le public comprend qu’ils s’aiment, et s’il pose sa main sur sa poitrine, il signifie qu’ils ont fait l’amour.
Notre recherche se situe au niveau de la construction du geste, du chemin qui conduit à prendre la main. Même si dans certains cas, comme avec Monsieur Tadashi Suzuki , l’on raconte également comment défaire ce geste.
Grâce au vocabulaire gestuel théâtral occidental qui est très différent du mien et à la fois très riche, j’ai appris avec mon personnage de Don Juan à m’exprimer d’une façon que je ne connaissais pas.

Existe-t-il dans la littérature japonaise un personnage équivalent à Don Juan? Si oui, lequel?

K.M. : Oui, dans la littérature japonaise, il existe un récit qui est connu universellement sous le nom de « The Tales of Genji », en français « Le Dit du Genji ». Cet ouvrage prend forme durant l’ère Heian, au début du 11ème siècle, sous la plume de Murasaki Shikibu, dame d’honneur à la Cour Impériale. Ce texte millénaire, précieuse source iconographique, d’un raffinement extrême, considéré par beaucoup comme étant le premier roman psychologique du monde fait aujourd’hui encore preuve d’une grande modernité. L’auteur y raconte l’histoire de Hikaru Genji un prince qui fait la rencontre de nombreuses femmes de tous rangs: princesses, femmes délaissées, femmes pauvres, paysannes…

Quant au mythe de Don Juan, c’est grâce à la musique et à un film sur le Don Juan de Molière que j’ai la première fois fait sa connaissance.

Que signifie pour vous travailler avec O.P.?

C’est un moment très important dans ma carrière. Je ressens des liens profonds avec ce maître.
Omar Porras est un directeur et metteur en scène qui ne renonce jamais. Il ne se contente pas de guider notre travail, il exige un investissement à deux cent pourcents.

La première fois que j’ai assisté à l’une de ses pièces, ce fut lors des Olympiades du Théâtre, qui se déroulaient à Shizuoka, en 1999. Le Teatro Malandro présentait son spectacle « Noces de sang ». On entendait les Rolling Stones dans une pièce de Garcia Lorca! Je m’en souviens encore. Je me disais que le théâtre underground japonais, bien que déjà entrain de disparaître, s’apparentait à cela.

Je n’aurais jamais imaginé jouer sous la direction d’Omar Porras. Je n’y crois toujours pas! Ma rencontre avec lui restera pour moi une expérience inoubliable.

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